Fleurus d'Algérie (1848 - 1962)

Après l'apéritif à la fête sportive de Pâques 1924

(Collections Lucien Campos et Joseph Mendiéla)

Le Sporting Club de Fleurus, alors en pleine ascendance, organisa le 20 avril 1921 (dimanche de Pâques) une fête multisports. Ici, nous venons de prendre l'apéritif au café Daleyden. Le temps est couvert (pas d'ombres nettes au sol) et assez frais, comme le montrent les vêtements portés. Le photographe a installé le groupe devant le café. On distingue la courbe du trottoir à l'angle des deux rues principales, et les faux-poivriers de la rue d'Assi-Ben-Okba, avec une partie d'une banderolle annonçant un sponsor de la fête, probablement AUTO-MOTO MORIS. (L'Italien Botteccia gagnera le Tour de France trois mois après sur une bicyclette de cette marque, et la course pour jeunes de la localité suit probablement le circuit Fleurus - Saint-Cloud - Assi-Ben-Okba - Fleurus : la banderolle est accrochée juste avant le point d'arrivée.)

C'est un petit monde preque exclusivement masculin : l'exception se trouve tout à fait à l'avant à gauche où une petite fille hardie s'est aventurée, son sac à main de cérémonie en bandoulière même si, en l'absence de Maman, ses chaussettes du dimanche sont plutôt en accordéon. Beaucoup d'hommes fument, et la plupart portent, même pour la photo, un couvre-chef masculin. C'est aussi un petit monde en grande majorité européen : sur les trente-neuf adultes, il n'y a que six indigènes, aux bords et à l'arrière du groupe. C'est enfin un monde à dominance espagnole : presque tous sont des commerçants, des artisans et des employés, à l'exception de trois propriétaires terriens : s'il pouvait être question de «classes» (ou plutôt de groupements) il s'agirait ici de la classe moyenne du village, entre les colons et les ouvriers.

Le photographe (qui a bien orchestré l'événement, témoin le fait que personne ne regarde le chien) a disposé les enfants en groupes, sans rapport avec leurs pères, à une exception près, et les adultes selon des rapports d'importance et non de taille physique, d'où le nombre de personnes qui arrive tout juste à se faire remarquer, derrière une épaule ou entre deux chapeaux.

Qui s'est mis, ou a-t-on mis au centre ? Sans doute les trois «élégants» du village : les deux «zazous» (comme on aurait dit à Oran vingt ans après), Henri Beaudet et Jérôme Lopez, grands amis et coureurs de mode, tous deux en casquettes molles anglaises dernier cri ; puis, à la gauche de Beaudet, Roger Pillard (dentiste), un monsieur de la «grande ville» d'Oran qui fréquente déjà Fleurus, où il a des clients, et surtout des clientes admiratives à la fois de son élégance et de son doigté : il a contribué à la nomination de son frère Julien Pillard, qui s'installera quelques mois après comme médecin communal. Si Beaudet est au point de mire, c'est peut-être aussi parce qu'il est le plus important des représentants de la classe possédante présents (son père Adolphe, de buraliste devenu colon à la suite de son mariage avec une héritière Rabisse et de grands efforts subséquents, a actuellement 40 hectares de vigne en exploitation) mais même sans cela il fallait absolument qu'il fût au premier rang, puisque seul, dans ce milieu rural, il porte des guêtres ! Ces deux amis à qui on prêtait un avenir important au village, allaient lui être enlevés cinq et six ans plus tard par la sorcière tuberculose.

A gauche de Roger Pillard, on reconnaît François Ruiz, depuis peu beau-frère de Jérôme l'élégant, et qui a récemment relancé l'équipe de football, dont il est actuellement capitaine et arrière central attitré. Si Henri Beaudet porte des guêtres, François Ruiz se distingue par le cigare. A gauche encore, le photographe ne pouvait manquer de placer au premier rang les plus belles moustaches du village, qui appartiennent à Lorenzo Boj (maçon depuis peu, dont l'épouse tient une des épiceries, et dont le fils fera plus tard carrière dans l'administration des hôpitaux et écrira une des deux monographies sur Fleurus antérieures à celle en cours de rédaction ici. A sa main droite, deux Espagnols connus, selon la tradition villageoise, par des surnoms, Antoine Juan (dit Gento, en casquette) et Ramon Garri (dit par antiphrase el pequeño, et qui tient, avec son épouse, Emilia Torrez, dite la rosiñola, une boulangerie - épicerie, habite la Cour des miracles, et ne renonce jamais à son chapeau sombre aux larges bords, style campagnard espagnol, alors que son jeune voisin à main droite (non identifié) porte bien cravate et casquette à la mode, mais n'a pas réussi à se faire placer au milieu.

Reprenons à la main gauche de Jérome Lopez, et au-delà du petit groupe d'enfants : Juan Campos (dit Juanet), né à Fleurus mais qui habite à présent Saint-Louis, est revenu au village dans sa plus belle tenue claire, avec petite cravate et de gilet, et se rapproche donc des jeunes élégants sans tout à fait rivaliser avec eux (son couvre-chef n'est pas assorti). Il reviendra un temps comme garde-champêtre dans un an. A sa main gauche, avec une cravate fantaisie, un de ses 33 cousins au village (les Campos sont prolifiques), Raymond Campos, le coiffeur du bout de la rue de Paris ; puis, juste devant l'arbre, la cigarette au bec, José (Pepe) Silvestre, ouvrier agricole ; puis à sa main gauche, au large chapeau faisant réplique à celle de Garri, Miguel Valdès, qui tient, avec son épouse Hélène Belmonte, l'ancienne cantine d'Henri Ros, près de la gare (îlot F), où se réunit souvent le Sporting.

En retrait, mais dominant le reste du groupe à partir de la petite terrasse devant les marches le café, l'homme à la chemise blanche sans col et à la casquette reste anonyme, mais à sa main gauche se trouvent Joseph Belmonte, entrepreneur, conseiller municipal et vice-président du Sporting, l'air prospère avec son veston de style tweed et son feutre de ville, puis (élégant aussi, en style plus villageois du midi de la France) Arsène Espérou, viticulteur métayer et «assesseur» au Sporting.

Reprenons à partir de la gauche de la photo pour la deuxième rangée, où l'on ne voit que les têtes, dont certaines restent anonymes. Entre les épaules de Lorenzo Boj et de François Ruiz, (moustache et cheveux blancs) Louis Theil, ouvrier agricole et cantonnier ; puis (moustache blanche et casquette de fonction) Eugène Becker, le garde-champêtre. Puis, entre Beaudet et Lopez, beaucoup plus grand et en chapeau à larges bords, Casimir Jorro, secrétaire de mairie et secrétaire-général du Sporting ; avec chéchia, Bouzébal Belharchi (dit Sicky, premier boucher indigène du village) ; derrière lui, en feutre noir, Antoine Jorro, frère de Casimir et maréchal-ferrant, puis un trio de non-identifiés. Devant Joseph Belmonte (casquette blanche et foulard de cou, car c'est un gazé de 1914 qui n'a plus que quelques mois à vivre), Antoine Sevilla ; puis (feutre retourné et cravate) Jean Madrid, ouvrier à la forge Lissarre, et (casquette plate) Joseph Sevilla (bourrelier, frère d'Antoine) ; puis (entre Juan et Raymond Campos et devant Arsène Espérou) Juan Manuel Domingo.

Grâce à une concertation entre Lucien Campos, Cécile et Joseph Mendiéla, et Carmen Diaz en 1984, certains des enfants sont identifiés. Dans le groupe de gauche, si la petite fille reste anonyme, il y a à sa main gauche (en béret et tenue blanche) Adrien Schneider junior, dont le père est gardien pour le Syndicat agricole ; derrière lui René Diez, fils de Joseph (viticulteur, facteur et vice-président du Sporting, qui semble avoir manqué la photo, comme d'ailleurs aussi son président, Dominique Oliver) : à sa main gauche (en béret, sous la main de son père) Juan (dit Tité); devant lui (assis sur le rebord du trottoir) Marcel Mendiéla, à sa main gauche (jambes écartées) Antoine Rico. Dans le groupe du milieu (tenant sa casquette à la main et chaussettes à la cheville Fernand Carmona (fils du coiffeur du centre-village), puis (avec béret et cravate) Félix Campos, puis Joseph Mendiéla son cousin. Dans le groupe de droite (en casquette, visière baissée) Gabriel Rico, derrière lui (en veste à boutons) Pierre Molina, et à ses côtés (en pantalon long) Antonio Gimeno.

Les Fleuronautes qui auraient l'occasion de sortir les albums de famille, reconnaîtront peut-être quelques autres visages et nous en feront part ?