Fleurus d'Algérie (1848 - 1962)

La rue de Paris depuis le jardin des Italiens

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La rue principale depuis le jardin des Italiens (collection André Toeroek)

Le jardin public (dit "jardin des Italiens" puis parfois, par erreur, "le petit Vichy") se trouve à la fourche des routes menant, à la sortie est du village, vers Saint-Cloud et Legrand. Cette photo a été prise à partir du jardin par Yves Toeroek, vers 1955. A gauche, au début de la rue de Paris, on voit l'angle de la maison Vallon, et son mûrier, qui faisait de l'ombre sur le trottoir l'été, et où les garnements volaient les mûres à l'heure de la sieste en y jetant (non sans risques) leurs casquettes pour les faire tomber. La maison Lopez en face (louée en 1955 par les héritiers Lopez aux sœurs Gélineau) et la maison Drouhin (au-delà du petit carrefour à droite) sont cachées par le faux-poivrier. On ne distingue donc pas les fantômes de Mme Vallon et de sa belle-sœur Mme Drouhin, assises sur le trottoir devant chez Drouhin pour prendre le frais, comme elles le faisaient toutes les fins d'après-midi d'été au cours des années 1930.

 

Le jardin public sous la neige en 1954

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Le jardin un jour de neige de 1954

(collection Jo Carmona)

Cette autre photo est prise l'année avant la précédente et dans le sens inverse, c'est à dire à partir du trottoir devant la maison Lopez. Le jardin présentait à la rue deux entrées (l'une orientée vers le sud-ouest, l'autre vers le nord-ouest) avec au centre un massif circulaire de buissons et de yukkas et espèces voisines, entouré d'allées symétriques. Nous voyons ici l'entrée vers le nord-ouest.

On distingue le massif circulaire derrière la Renault Frégate des Carmona. Au second plan, les pins (courbés vers le sud, à la différence des poteaux télégraphiques, par les vents prédominants du nord-est venant de la baie d'Arzew) plient sous la neige. A une quarantaine de mètres plus loin, le petit bosquet de pins s'ouvrait sur une vue panoramique : la plaine, des rives du lac, des collines entre le lac et les salines, et même certains jours la mer.

 

Le soubassement de la plaque de bronze

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Inscription sur les marches du podium de la plaque de bronze

(collection Gabrielle Galan)

Au centre du massif, les Italiens avaient maçonné un petit podium sur quatre marches peu profondes, sur laquelle avait été scellé horizontalement une plaque en bronze comprenant un planisphère et un aigle américain dominant le monde. Ce sont ces marches que Gabrielle Galan a photographiées en 2012 pour révéler une inscription datant de 1944 : cela laisse supposer que d'autres inscriptions (obturées ou recouvertes de peinture par la suite) ont été faites sur les autres marches, commémorant d'autres arrivées et départs. Bernard Assié se souvient bien du bronze. Et qui d'autre ?

Après le débarquement du 8 novembre 1942 (opération TORCH) et une fois la résistance française maîtrisée (le cessez-le-feu a eu lieu le 10 novembre en Oranie) les armées Alliées (américaine, britannique, australienne, canadienne et néo-zélandaise) se sont servies du port d'Oran (et, accessoirement, de celui d'Arzew) pour débarquer les troupes et le matériel destinés à l'offensive de Tunisie, puis à l'invasion de l'Italie. L'armée française d'Afrique, dont le gros était constitué par les appelés algériens, s'est jointe à ces opérations à partir de mars 1943.

Les troupes américaines (conscrites à la hâte après Pearl Harbour) complétèrent leur entraînement en Oranie, tandis que le matériel lourd (notamment les chars Shermann et divers engins anti-aériens) arrivait en pièces détachées et était assemblé sur le port puis testé et rodé en pleine campagne. Le camp établi à Fleurus (facilement accessible à partir d'Oran comme d'Arzew, et bénéficiant, grâce à Léon Martin, d'une piste praticable par les avions de chasse et de reconnaissance) se trouva au centre de ces opérations jusqu'au débarquement de Provence de 1944.

Ceux qui participent aux opérations guerrières sont en général ignorants de la portée de ce qui se passe autour d'eux (témoin la bataille de Waterloo vue du petit bout de la lorgnette par le héros de La Chartreuse de Parme de Stendhal). Aussi, à Fleurus nous ne nous préoccupions pas de l'objet de toutes ces manœuvres (sinon la victoire finale), mais plutôt de si les chars n'allaient pas entamer les pierres d'angle de nos maisons. Pourtant, une petite partie de l'histoire de notre village était inscrite sur des pierres que nous avons entièrement négligées par la suite.

Nous lisons ???? STAGING AREA ?? BN ???? 20 JAN 1944. Staging area signifie point d'assemblement tandis que BN est une abbréviation de battalion. Un bataillon s'est assemblé, c'est à dire que les hommes et leur matériel se sont mis en formation opérationnelle. A Fleurus, l'attribution de chars récemment rodés à des unités humaines était alors chose courante, et le camp servit de rampe de lancement à de nombreuses opérations à partir de 1943. Effectivement, à l'aube du 22 janvier 1944 une force américano-britannico-canadienne a débarqué sur les plages d'Anzio, au sud du monte Cassino, où l'armée allemande protégeait sa retraite vers le nord de l'Italie, dans le but de prendre celle-ci de flanc. Cette opération (dite Operation SHINGLE) dont le but était d'écourter la bataille meurtrière de Cassino (où de nombreux soldats de l'armée française d'Afrique ont laissé leur vie) n'a eu qu'un succès mitigé et a elle-même été très meurtière.

 

Album photos