Fleurus d'Algérie (1848 - 1962)

La villa Louisette vue de face

(Carte postale de 1919)

En 1907, Siffrein Carton, apparu sur le tard à Fleurus mais ayant, comme naguère Eugène Barban, l'esprit d'initiative et l'opportunislme qui seyaient aux colonisateurs, épousa Louise Rabisse, fille de l'ancien maire Pierre Rabisse, mort depuis peu : le capital qu'il avait amené de France et l'héritage Rabisse lui permirent d'acheter l'ancien lot de jardin de Joseph Bouré, enserré désormais entre le village en pleine expansion, et la voie ferrée. Carton, venu de Carpentras, où on connaît la vigne et où on avait déjà résisté au phylloxera, installa sur une partie de ce lot une pépinière consacrée surtout aux plants de vigne américains résistants au parasite.

Cette entreprise se développa si bien qu'il fut élu maire en 1912, (ceci par un village qui n'avait connu que des maires Rabisse depuis 43 ans, mais c'était tout de même un cousin par alliance) et qu'il songea  alors à se faire construire une maison de maître. Ce fut ce qu'on appela dans les débuts la «villa Louisette», du nom de son épouse (quoique, la maison à peine terminée, il restât veuf, puis épousa, pour encore mieux faire, Gabrielle Rabisse, sa belle-sœur et unique co-héritière). Devenu maire, Siffrein Carton fit représenter sa demeure en 1919 dans une carte postale, presque une carte de visite, dont il avait tenu à confier à la réalisation à l'un de ses concitoyens de Carpentras. L'esprit d'entreprise de Carton aidant, c'est l'image de Fleurus qui est la plus souvent reproduite dans les publications illustrant l'Oranie :  il faut avouer que c'est aussi la moins représentative du village tel qu'il était dans l'ensemble.

La villa Louisette est l'affirmation d'une tradition patricienne dans un style reprenant celui des grandes maisons bourgeoises de la France du XVIIIe siècle, et qu'on retrouvait encore dans certains hôtels particuliers de la fin du XIXe. Elle est entièrement en pierre, et elle est bâtie selon une ordonnance monumentale, sur trois niveaux : au rez-de-chaussée, des salles basses, logeant les salles de garde, les domestiques, les cuisines, les remises et les écuries (et, à Fleurus, le bureau où le maître reçoit et paie ses ouvriers) ; au premier, étage «noble» aux hautes fenêtres souvent mises en valeur par des pilastres, les salons d'apparat et de réception et les appartements des maîtres ; et au niveau des combles, pièces aménagées en fumoirs, garçonnières, nurseries, chambres pour parents pauvres et domestiques privilégiés. (Tel n'est pas le cas ici, où on se contente de deux niveaux habités et de combles sans ouverture.)

La maison de maître vue de côté

La villa Louisette vue de côté

(Carte postale de 1919)

Certes, le style de vie fleurusien ne comprenait pas tous les attributs de la maison de grand bourgeois, mais la villa Louisette envoyait sans vergogne tous les messages qui y étaient associés. De plus, elle profita de sa situation pour souligner sa fonction commerciale aux voyageurs arrivant par le chemin de fer, comme on le voit à cette autre carte publicitaire (prise de la voie ferrée). La grande inscription sur le côté est FENOUIL CARTON / VIGNES AMERICAINES. (Fenouil fut pendant un temps l'associé de Carton). Cette villa régnait aussi sur le petit complexe semi-industriel (que l'on voit à droite de la maison) où travaillaient et étaient logés de façon saisonnière une petite trentaine d'ouvriers de Bourgogne et du Midi, spécialistes des greffes. Elle gagna encore en prestance une quinzaine d'années plus tard, lorsque son jardin fut arrivé à maturité, par le fait qu'elle trônait désormais au milieu de la végétation luxuriante de pépinières consacrées aux arbres fruitiers autant qu'à la vigne, reprises sous la direction de son nouvel occupant, Henri Pellegrin, ancien chef de culture de Carton.

Lorsque les pépinières furent fermées, en 1947, la maison revint dans la famille Rabisse.

 

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