Après le Conseil de révision de 1946
(collection Jean-Pierre Rabisse)
Le conseil de révision est un rite de passage vers la vie d'adulte. Convoqués à Saint-Cloud au printemps de leur dix-huitième année (ici en 1946), les jeunes gens se présentent devant un jury de médecins militaires et sont mensurés puis auscultés sous tous les angles : dentition, vue, ouïe, démarche, régularité des membres, présence ou non de hernies, respiration, avant d'être déclarés bons pour le service armé, ou pour le service auxiliaire, ou réformés. C'est une épreuve individuelle et collective : on la subit dans le plus simple appareil et en présence de toute la cohorte masculine du village, Européens et Indigènes confondus après 1945. Etre réformé est une humiliation, être déclaré «services auxiliaires» presque autant. Avant et après l'épreuve, le rite est doublé de réjouissances libératrices organisées par les futurs conscrits européens. (Les Indigènes n'y participent pas.) Il y a bals au village une ou deux semaines avant et quelques jours après (dans la salle Martinet, la Salle des fêtes, ou une cave prêtée par un viticulteur) et, bien entendu, on y a convié toutes les cohortes féminines correspondantes et voisines. Puis une parade, financée par les bénéfices du bal, comportant dans les années 1940 une tournée triomphale et fanfaronne en camion de plusieurs villages environnants. Cette photo de groupe des jeunes initiés européens bons pour le service, avec deux camarades un peu plus âgés, vers la fin des réjouissances, illustre assez bien, par le geste et le toucher, la fraternité au sein d'une population qui se sent solidaire.
Nous sommes devant le café du Centre (à l'angle des deux rues principales) tenu à l'époque par Aimé Caparros. Ces jeunes gens «font le beau» devant qui voudra les admirer, ce qui ne laisse pas indifférent la serveuse, et ont même avec eux un chien qui fait le beau lui aussi, pour son maître Fernand Sevilla. Il attire l'attention de tout le groupe, même celle de la bambine. Fernand Campos, bras nus, a la main droite sur l'épaule de Paulo Lissarre, le fils du forgeron, dont la corpulence est à la mesure de la force physique, et qui se penche en arrière vers Christian Vidal. ; seul Roland Diez, qui a devancé l'appel (du mariage) est un peu distancé de la cohorte masculine par la présence de sa fillette Andrée - peut-être parce que son épouse, Fernande Belmonte, la lui a confiée pour prendre la photo. A sa main gauche, au deuxième rang, Jean Pierre Rabisse se penche vers le chien sans lâcher son co-révisé Michel Ivañez, qui a la main sur l'épaule de son autre voisin, Pepico Sevilla, tandis que, d'un bout à l'autre du groupe, René Calléjean plaisante le montreur de chien.